Pubbl. Ven, 11 Dic 2015
Le droit de common law et le droit de civil law: routes parallèles et croisements.
Modifica paginaComment naît et se développe le common law? Quelles sont les différences et les analogies avec les autres systèmes juridiques? Nous retraçons les différentes étapes de l’évolution du système anglo-saxon pour trouver une réponse. Dans cet article nous allons réexaminer la naissance du système juridique anglais.
1. Préambule.
Le premier impact que le commun des mortels a avec le common law est, en général, représenté par de nombreux romans policiers qui se déroulent dans les campagnes anglaises ou dans les métropoles américaines. Nous avons donc tous, plus ou moins, connaissance du “droit à garder le silence”(1), du procès devant le jury, des perruques du juge et des avocats, et nous sommes aussi portés à comparer ce que nous voyons avec ce que nous savons du droit national. Le résultat est, d’habitude, une différence marquée entre les deux systèmes juridiques, mais sommes-nous certains qu’il n’y aurait pas de points communs ?
2. Entre les Angles, les Saxons et les Normands.
Après l’abandon de l’Angleterre de la part des légions romaines au Vème siècle ap. J.-C., plusieurs invasions qui se sont succédé conduisirent à la naissance de différents petits royaumes, avec une présence de plus en plus forte de Scandinaves. Le système juridique était donc réglementé par une série de coutumes et normes locales et les différends juridiques se déroulaient devant l’assemblée publique (moots), en recourant à des instruments comme le jugement et l’ordalie. Le premier prévoyait, sur l’initiative de la partie, la présentation de certaines personnes ( le nombre pouvait varier selon qu’il s’agissait d’un différend civil ou pénal) qui juraient que l’intéressé était une personne digne de foi, d’où le nom de “compurgatio”; tandis que le deuxième consistait en un véritable jugement de Dieu comme, par exemple le passage sur les charbons ardents, auquel se soumettait la partie qui voulait démontrer qu’elle était du côté de la raison et forte de l’aide céleste.
Le dernier souverain d’origine danoise fut Harold II, qui régna jusqu’au 14 octobre 1066, journée de la bataille de Hastings. Ce jour-là, Harold affronta un prétendant au trône qui venait de Normandie. Il s’agissait de Guillaume, connu ensuite avec le surnom de “Conquérant”.
Comme le représente la merveilleuse tapisserie de Bayeux, Harold fut tué sur le champ de bataille et Guillaume devint le premier souverain d’Angleterre de la dynastie Normande. Guillaume apporta de profonds changements dans le système judiciaire.
En premier lieu, pour récompenser les nombreux chevaliers qui l’avaient suivi, il partagea le royaume en différents fiefs, même si le féodalisme anglais était fortement centré sur le roi, seul propriétaire originaire des terres du royaume. Venaient ensuite les vassaux directs du roi, les Lords ou Tenants-in-chief et enfin les vassaux des “Lords” ou” tenants”.
3. Les différentes cours.
Plusieurs ordonnancements juridiques restaient encore superposés et fatalement destinés à entrer en conflit. En effet, au-delà de la juridiction royale centrale (curia regis), il existait une juridiction locale des Lords, l’ecclésiastique et les restes des juridictions anglo-saxonnes, précédentes à la conquête normande. Cependant , déja à la fin du XIIème siècle, les cours royales avaient obtenu une certaine suprématie, au point que leur usage était considéré comme coutume du Royaume, comme on peut le lire dans l’oeuvre de Glanvill, le Tractatus de legibus et consuetudinibus regni Angliae (le Traité des lois et des coutumes du Royaume des Angles), écrit à la demande du roi Henri II (3)
Cette oeuvre, que l’on peut à bon escient considérer comme la première oeuvre doctrinale de common law, est divisée en trois parties, si l’on suit la répartition traditionnelle du droit de l’époque. Ces parties concernent les procédures des infractions civiles et pénales et le droit des biens et de la propriété.
De plus, un élément caractéristique de cette oeuvre est l’allusion à la procédure des writs (ou brefs), à leur tour influencés par le droit romain.
Voilà donc qu’on reconnaît un premier point commun entre les deux grandes familles ( pour utiliser l’ordre de David). La raison s’explique très facilement: les jurisconsultes de l’époque se formaient à l’école de Bologne (4), en étudiant le texte de Justinien qui constituait leur patrimoine juridique commun, et ils rentraient dans leur pays, influencés par le droit romain. On peut trouver un exemple de l’influence du droit romain dans le système des Writs, qui plusieurs références au droit du préteur archaïque.
4. Les Writs.
Le rôle de suprématie des cours centrales se basait sur trois aspects principaux: être juge des problèmes relatifs à la “paix du roi” (ou “pleas of the Crown”), qui finirent par comprendre à nouveau les infractions ( d’où l’usage de la traditionnelle formule dans les actes d’accusation “en violant ainsi la paix du Roi”); le contrôle sur les cours féodales et la résolution des disputes entre les vassaux directs du Roi , les lords. Les premiers préposés à la justice étaient des clercs, par conséquent des personnes en provenance du monde ecclésiastique et experts du droit romain canonique, rares connaisseurs du latin, la langue utilisée dans les actes officiels. Celui qui s’adressait à la cour royale, obtenait ,moyennant le paiement d’une somme d’argent,un papier délivré au nom du souverain, écrit à la main sur un petit parchemin ( d’où le mot latin – brevis -, c’est- à- dire papier bref), qui était adressé ou au vassal ou au shérif.
Le writ résumait les faits et les prétentions du demandeur, avec l’indication de la mesure à prendre, de la procédure à suivre et de l’organe chargé de l’exécution. La sérialité des demandes à la chancellerie royale fut telle qu’elle permit de repérer des types de writs, vu le recours continu aux mêmes formules (ou “forms”) et donc, dans un contexte purement de procédure et de remède, aux nombreux writs correspondaient de nombreuses actions ( ou “forms of actions”). La création d’une nouvelle position subjective correspondait à la naissance d’une nouvelle action procédurale. Ces writs étaient ensuite recueillis dans les annuaires ( Yearbook); parmi ceux-ci se distinguaient de par leur importance les “prerogative Writs” dont les plus importants étaient le trespass (littéralement: violation), de Debt ( d’injonction au paiement) et de Habeas Corpus (littéralement: de production du corps, c’est-à-dire - ordre de présenter une personne devant l’autorité judiciaire); ce dernier Writ, vu son importance, était même dénommé le GRAND WRIT.
La possibilité pour la partie de s’adresser directement à l’appareil central, en sautant le local, privait la baronnie d’une entrée sûre et aussi d’un certain prestige. La dispute entre le gouvernement central et les lords culminera en un véritable conflit, (la première guerre des barons, 1215-1217). Cette période marquera toutefois aussi une autre étape importante pour le droit anglais. Le 15 juin 1215, il y a 800 ans, Jean Plantagenêt (connu comme “ Jean Sans Terre”) dut donner et reconnaître certains droits à la Baronnie et aux hommes libres, en limitant son pouvoir; le document est passé à l’histoire comme la Magna Charta Libertatum.
Avec ce document,le souverain limitait ses propres pouvoirs et il fixait certains principes que nous pouvons retrouver encore aujourd’hui dans les Chartes fondamentales, par exemple: le principe de proportionnalité des peines (5), ou la garantie d’un procès régulier devant un jury équitable ou selon la loi du royaume (6), la possibilité de faire légalement guerre au souverain au cas où celui-ci aurait manqué à ses obligations. (7)
Outre ce texte fondamental, il convient de signaler les Dispositions (ou Provisions) de Oxford de 1258, suivies l’année suivante par le premier Statut de Westminster qui, en cinquante-deux chapitres, institutionnalisait les différentes lois anglaises, et qui ne fut plus rédigé en latin mais en langue normande. Enfin, en 1285, le deuxième statut de Westminster fut introduit. Avec celui-ci, les barons obtinrent la clôture du registre des Writs, voulant dire qu’aucun writ ne pouvait être émis mais, au contraire, que seuls les writs déja existants pouvaient être appliqués, même par voie analogique; une phase de créativité de la part des tribunaux commence à se cristalliser; phase qui portera à la naissance d’une juridiction d’équité (ou equità) (8).
(1) Le principe est consacré dans les propositions d’amendement V e t XIV de la Constitution américaine, “ Personne ne pourra être obligée, dans un procès pénal, de témoigner contre soi-même”, déclaré par la Cour Suprême fédérale des Etats-unis dans l’arrêt célèbre Miranda contre Arizona de 1966 (384 US 436). Dans notre ordre juridique, nous pouvons nous référer aux articles 62, 63 e 64 du code de procédure pénale et à l’article 6 CEDU, tel qu’il est interprété par les juges de Strasbourg ( voir. par exemple J.B contre Suisse).
(2) Notre ordre juridique prévoit , dans notre code civil, le serment comme moyen de preuve, prêté par la partie, voir art. 2736 et suivants du code civil et 233 ss du code de procédure civile.
(3) En 1166, avec les Assises de Clarendon, et en 1176 avec les Assises de Norghampton, Henri II uniforma l’administration de la justice pénale dans le royaume.
(4) L’école de Bologne est une école de juristes qui, du XIIème au XIIème siècle, travailla au Corpus Iuris Civilis de Justinien, en le reconstruisant et en l’analysant avec les textes juridiques classiques. Avec l’école de Bologne, s’affirme donc l’autonomie de l’étude du droit. Elle est célèbre pour la technique de la glose, c’est-à-dire le commentaire à côté du texte prévu afin d’en faciliter la compréhension . Il n’est, naturellement, pas possible , dans ce contexte, de traiter le sujet de façon approfondie, c’est pourquoi on renvoie à A.Padoa Schioppa, Storia del diritto in Europa.Dal Medioevo all’età contemporanea, Bologne, 2007; P.Grossi, L’ordine giuridico medioevale, Roma-Bari,2014.
(5) “Qu’aucun homme libre ne soit puni pour une légère infraction, si ce n’est une sanction appropriée au délit; pour un délit grave la peine doit être proportionnée à sa gravité sans le priver des moyens de subsistance (…)”, voir art 27 Cost. art 6,7 CEDU, amendement VII cost.USA.
(6) “Aucun homme libre ne sera arrêté, emprisonné, condamné à une amende, mis hors-la-loi, exilé, harcelé en aucun cas, et nous n’utiliserons la force à son égard ni le demanderons de le faire à d’autres personnes, si ce n’est pour un jugement légal de ses pairs et pour la loi du royaume”, voir. art 24,25,27 et 111 Cost, art 6 CEDU, amendements V et XIV Cost. USA.
(7) Il s’agit de ce que l’on appelle “droit de résistance”, affirmé par la Scolastique avec Saint Thomas d’Aquin et la théorie contractuelle des pouvoirs de John Locke. Une résistance, juridique, pour la défense des propres positions juridiques, est prévue dans les articles 24, 103, 111 et 113 Cost, v. aussi art 6 CEDU.
(8) Pour une analyse plus approfondie nous renvoyons à :
- A.gambaro- R.Sacco, Sistemi Giuridici Comparati, in Trattato di diritto comparato, Torino, 2008;
- V. Varano- V . Barsotti, La tradizione giuridica occidentale, I, Torino, 2014;
- U.Mattei, Il modello di common law, Torino, 2014.